La conservation d’un patrimoine du XXe siècle est une problématique qui met en première ligne le ministère de la Culture et de la Communication. En effet, le ministère est régulièrement confronté à la demande insistante des architectes et historiens de l’architecture de tenir compte uniquement de la valeur architecturale d’un bâtiment en négligeant les autres aspects. Par ailleurs, nombre de ces constructions étant situées hors des espaces protégés, les services interviennent tardivement sur ces dossiers, rendant leur action particulièrement délicate.
Le cas du 57 Métal illustre les difficultés du ministère à répondre à des intérêts patrimoniaux, économiques ou environnementaux qui peuvent se révéler contradictoires.
Le contexte
L’atelier « 57 Métal » a été construit à Boulogne-Billancourt en 1984 par Claude Vasconi, grand prix national d’architecture en 1982. C’est à la fois le dernier bâtiment industriel réalisé sur le site de l’usine Renault et l’unique partie réalisée d’un ambitieux projet de reconstruction du site industriel appelé « Billancourt 2000 », abandonné en 1987, l’entreprise ayant alors décidé de déménager à Guyancourt. Ce bâtiment est aujourd’hui situé dans un contexte urbain radicalement différent, car les terrains de l’ancienne usine sont devenus un nouveau quartier de Boulogne : la ZAC du trapèze en cours d’aménagement.
Construit à l’époque d’un regain d’intérêt des architectes pour l’architecture industrielle, la caractéristique du bâtiment réside principalement dans le traitement de ses façades et de sa toiture, qui réinterprètent le vocabulaire de l’architecture industrielle (parois de brique et sheds en zinc).
Par ailleurs, en 2002, l’agence Jakob et Mac Farlane a réaménagé, de façon très respectueuse, l’intérieur du bâtiment pour en faire le centre de communication de Renault, « Square.com ».
L’ensemble se déploie sur 17 000m², SHON sur une emprise au sol de 10 000m² environ.
Le bâtiment n’est ni labellisé XXe, ni repéré au PLU comme édifice remarquable (L151-19 du CU).
Suite à la vente du site par Renault à un fonds d’investissement en 2010, une instance de classement a été prise, en mai 2011, par le ministre de la Culture, à la demande de la veuve de l’architecte, Claude Vasconi étant décédé en 2009, en réponse à la publication d’une pétition internationale du monde de l’architecture.
En effet, le nouveau propriétaire envisageait la démolition totale du bâtiment pour y réaliser un nouvel ensemble tertiaire de 50 000m² environ, seule solution d’après lui pour assurer une dépollution totale du site et rentabiliser son investissement de 75 millions d’Euros, ce qui donne une idée des enjeux financiers sous-jacents à cette opération.
Cette instance n’a pas été suivie d’effet pour des raisons politiques, mais également en raison de doutes persistants concernant l’importance de la pollution. En effet, il aurait été problématique de protéger un bâtiment dont la démolition paraissait incontournable.
À partir de fin 2013, la question du risque sanitaire a donné lieu à une succession de procédures juridiques, liées au projet de démolition du bâtiment, entraînant un blocage total de la situation. En effet, le maire refusait d’accorder le permis de démolir en raison de soupçons de manque d’objectivité des expertises techniques concernant la dépollution du site.
Suite à la publication de tribunes demandant de “sauver le 57 Métal” en 2014, et face au blocage constaté, la ministre a décidé la mise en place d’une mission de médiation.
Cette mission a été confiée, en septembre 2014, à monsieur Jean-Pierre Duport, ancien préfet de la région Île-de-France et ancien directeur de l’architecture.
L’idée était de situer la réflexion au-delà de la vision binaire protection/démolition, en recherchant des pistes d’évolution du projet d’aménagement permettant la réutilisation de tout ou partie du bâtiment tout en intégrant les mesures environnementales de dépollution.
La médiation
La première phase de la médiation a consisté en une série d’entretiens bilatéraux avec l’ensemble des parties prenantes, afin de renouer progressivement le dialogue : propriétaires successifs, services de l’État, collectivité, etc. mais aussi ayants droit de l’architecte et associations locales.
Fin 2014, face au constat de l’absence de consensus sur les sujets de la dépollution et du projet d’aménagement, le médiateur a décidé de poursuivre par la conduite de deux démarches parallèles, avec l’ensemble des acteurs, dont le représentant des ayants droit de l’architecte :
- Un premier groupe de travail, coordonné par le préfet de département, a permis de partager la connaissance sur la pollution et de définir collectivement des principes de dépollution sans démolition totale du bâtiment.
- Un deuxième groupe de travail, piloté par l’aménageur de la ZAC, s’est consacré à l’intérêt patrimonial et architectural du bâtiment, à une programmation possible pour un nouvel usage du bâtiment, au projet architectural et urbain et à l’équilibre financier de l’opération, sur la base d’études de faisabilité d’aménagement.
Cette deuxième phase a duré six mois environ, à l’issue de laquelle, une promesse de vente a été signée entre l’investisseur et un promoteur parisien. Celui-ci a repris les conclusions des groupes de travail pour faire travailler un architecte de renom sur le projet.
Le projet actuel, qui prévoit la démolition partielle du bâtiment, tout en conservant sa partie la plus emblématique, est à présent revenu dans le droit commun d’un projet d’aménagement et la demande de permis de construire a été déposée au début de l’été 2016.
Les enseignements
On peut tirer trois enseignements principaux de cette médiation :
- Il est assez symptomatique de constater que, dès que les acteurs se sont retrouvés à échanger sur un projet d’aménagement, la préoccupation générale s’est déplacée d’une demande de protection à la nécessité d’un projet cohérent et partagé sur l’avenir du site.
- L’instance de classement doit être utilisée en dernier recours ou en cas d’urgence, ce qui n’était pas le cas en 2011. En effet, prise trop tôt et sans être accompagnée d’une démarche de dialogue ou de projet, et sans aboutir à un avis argumenté et précis, cette instance n’a servi à rien et a empêché le ministère d’utiliser cet outil par la suite, lors de discussions tendues avec le propriétaire au démarrage de la médiation. A ce moment là, la prise d’une nouvelle instance de classement était difficilement envisageable d’un point de vue juridique, dans des délais aussi rapprochés et sans modification notable du contexte.
- La forte implication des ayants droit est également un facteur très important. En effet, le projet a bénéficié de la présence très constructive du représentant des ayants droits, gendre de Claude Vasconi, architecte lui-même, qui s’est rapidement approprié le nouveau projet, écartant tout aspect sentimental et irrationnel, assez courant dans ce genre de dossiers.
Enfin, la personnalité du médiateur a beaucoup joué dans la réussite de cette médiation, car, outre sa parfaite connaissance des rouages administratifs et des jeux d’acteurs, il a réussi à faire adhérer l’ensemble des partenaires à la démarche et à en attirer d’autres pour aboutir à un projet de qualité.
Cette médiation a également été favorisée par l’implication des différents partenaires qui se sont fortement mobilisés, ainsi que grâce aux échanges entre des services de l’État qui n’ont pas l’habitude de communiquer.
En conclusion, même si le passage à la phase opérationnelle n’est pas exempt d’incertitudes pour la suite de l’opération, cette médiation peut être considérée comme une démarche exemplaire. Cependant, une telle démarche de projet aurait pu être mise en place plus tôt, avant même la prise d’une instance de classement, qui doit rester l’ultime recours.
Cette réflexion autour d’un projet lié à la définition d’un nouvel usage est la meilleure solution pour assurer la protection de cette architecture récente. C’est cette nouvelle utilisation qui permettra au bâtiment de perdurer tout en s’adaptant à l’évolution des besoins et du contexte, urbain notamment.